Book de Frédéric Barrau

Présentation de l'exposition Miroir de l'imaginaire

Ma peinture repose sur l'imagination du spectateur, elle ne prend véritablement vie que par ce travail. Elle naît de la jonction de deux imaginaires; celui du spectateur et le mien. Cette rencontre est essentielle même s'il n'en résulte qu'un malentendu (peut-il en être autrement ?). Quelqu'un qui se limiterait à une appréhension du tableau en termes de lignes et/ ou de couleurs ne fait pas cette rencontre, parce qu'il ne s'y projette pas, parce qu'il ne se laisse pas porter par son imagination, il ne rentre pas dans le tableau. Mes tableaux sont une matière première pour l'imagination. Dans la nature il existe de telles matières premières; du lichen, de la buée sur une vitre...

J'observe du lichen et j'y vois des monstres, des visages, des oiseaux qui s'évanouissent d'un seul mouvement du regard ou qui meurent lorsque je tourne la tête pour en créer d'autres. C'est plus qu'un simple amusement, c'est le sentiment d'être le créateur, de représentations qui ne dépendent que de nous. J'aime ces moments parce que nous y exerçons notre subjectivité de la façon la plus libre qui soit et qu'en organisant un réel d'une complexité inépuisable nous en tirons une réalité toute personnelle qui n'a plus rien à voir avec celle consensuelle et affligeante de la norme.

Je travaille sans point de départ précis, j'esquisse de vagues formes, je pars au hasard; ensuite je cherche à révéler ce qui s'y cache mais sans aller jusqu'au bout, la fois suivante je chercherai à mettre à jour, toujours partiellement, d'autres formes latentes nées de la transformation précédente et ainsi de suite (d'où l'intérêt de travailler en tournant le tableau). j'avance par visions successives; quand je peins un tableau je me raconte des histoires et des images apparaissent, à partir de celles ci je crée d'autres images, d'autres histoires et ainsi de suite. De cette façon je pétris, je malaxe ces débris jusqu'à ce que cela soit beau et suffisamment homogène. La peinture est bonne lorsqu'elle suscite en moi mille images labiles.

Je crée ainsi un monde intérieur, un flot continuel de constructions destructions de formes vivantes qui s'entre-déchirent, s'entre-dévorent, un magma organique qui envahit la toile et semble en déborder. C'est une matière vivante indifférenciée d'où tout peut surgir. Toute mes toiles sont ocellées, il y a comme des yeux, ils constituent sans doute l'unité de base de ces personnages décomposés, ce sont de puissants stimulants.

Les ailes de papillon comportent des ocelles, ils permettent de dérouter le prédateur qui est en quelque sorte la victime de son imagination. Ces yeux sont peut être aussi un regard lancé au spectateur qu'ils attendent (ou guettent ?). Ces tableaux sont coupés du monde, mais c'est la condition pour que mon monde à moi puisse vivre. Ce n'est pas de la naïveté que de faire une peinture déconnectée des événements, du factuel, du contingent et vide de toute revendication. Faire l'expérience de sa subjectivité ce n'est pas uniquement s'enivrer de la puissance de son imagination, c'est aussi comprendre, au travers du malentendu de cette rencontre, à quel point notre intériorité, qui nous permet de saisir le monde, le réduit et le déforme. Nous sommes nous aussi les victimes de notre imagination. En cela connaître son monde intérieur c'est le contraire de la naïveté.

Il n'y a pas de message dans mes tableaux et si je devais faire la même avec chose avec des mots, j'inventerais des mots qui ne veulent rien dire, absolument rien. J'aurais à coeur leur sonorité, c'est dans celle-ci que résiderait toute leur puissance évocatrice. C'est précisément parce qu'ils ne veulent rien dire qu'ils pourraient alors tout dire.

L'abolition du sens des mots, du sens des images, nous redonne les pleins pouvoirs de créateur c'est une source de bonheur, mais elle met entre nous et le monde une formidable distorsion, d'où le malentendu. Ce texte n'est pas un mode d'emploi, ce n'est qu'une explication, il n'est pas nécessaire de comprendre pour ressentir. D'ailleurs dans ce domaine il serait presque aussi inutile et paradoxal que si j'avais écrit "Soyez spontanés, laissez vous porter par votre imagination". Tout au plus il peut vous décider à vous laisser aller à ce que vous appellerez peut être, au départ, des divagations.